Les événements semblent soudain se précipiter. En quinze jours, il y a eu d'abord l'attaque israélienne de Kuneitra, puis, dix jours après, la riposte du Hezbollah dans les fermes de Chebaa, suivie deux jours plus tard de l'attaque du Front al-Nosra contre les pèlerins libanais chiites à Damas et enfin, dernièrement, l'immolation par le feu du pilote jordanien Moaz al-Kassassa par Daech qui a atteint un niveau inégalé de barbarie.
En apparence, les acteurs sont différents et ces événements pourraient ne pas être liés. Mais selon les sources proches du Hezbollah, leur succession montre au contraire la collusion existant entre les groupes takfiristes terroristes et les Israéliens, tous deux ayant quelque part les mêmes intérêts dans la région : détruire l'axe dit de la résistance. Les takfiristes le souhaitent parce que cet axe s'oppose à leurs plans en Irak et en Syrie et les Israéliens parce qu'il les empêche d'imposer leur volonté au Liban et en Syrie, comme ils l'ont déjà fait avec l'Égypte et la Jordanie et surtout parce qu'il continue de plaider en faveur de la cause palestinienne que les Israéliens voudraient faire oublier.
Dans ce contexte, la riposte du Hezbollah dans les fermes de Chebaa, que l'on a déjà beaucoup commentée, a été considérée comme le début d'une nouvelle étape dans la confrontation. Tout comme l'assassinat du pilote jordanien et la réaction de Amman pourraient marquer le début d'une nouvelle étape dans la confrontation avec Daech...
Pour les Israéliens, qui croyaient le Hezbollah trop impliqué dans la guerre en Syrie où il fait face à une sorte de guerre d'usure, cette riposte a montré que sa vigilance à leur égard n'a pas baissé d'un cran. Au contraire, il a été en mesure de lancer une riposte rapide (dix jours après l'attaque dont ses cadres ont été victimes à Kuneitra), dans une zone ultramilitarisée et en principe très bien défendue. La question pour les Israéliens est d'ailleurs la suivante : comment six combattants du Hezbollah (le nombre de six est symbolique puisque le Hezbollah a eu 6 martyrs dans l'attaque israélienne) ont-ils pu pénétrer dans cette zone portant chacun à l'épaule un missile Cornett du modèle le plus sophistiqué ? Ils y sont restés près de trois jours en position de surveillance, guettant le moment opportun pour attaquer, chacun laissant entre son compagnon un espace de 900 mètres, et les radars ultrasophistiqués ainsi que les satellites qui surveillent en permanence la région n'ont pas pu les découvrir, sans parler des forces de soutien restées derrière eux. Cette opération bien étudiée et réussie a donc montré une grande lacune dans le système de surveillance israélien. D'autant que le convoi visé par les combattants du Hezbollah était composé de neuf véhicules non blindés, mais camouflés avec des branches.
Certaines sources du Hezbollah laissent entendre que l'opération des combattants du parti aurait été filmée et elle devrait être un jour diffusée, d'abord pour montrer la débandade au sein du convoi israélien et ensuite le nombre de victimes, car le Hezbollah estime que l'armée israélienne n'a pas donné un bilan réel de ses pertes suite à cette opération. De plus, non seulement les Israéliens n'ont pas riposté, comme le craignaient certaines parties libanaises, mais ils vont désormais réfléchir sérieusement avant de lancer une attaque contre le Hezbollah, puisque ce dernier a prouvé qu'il pouvait riposter là où il l'estime nécessaire.
L'autre élément important de ces dernières semaines est l'équation développée par Hassan Nasrallah dans son dernier discours, lorsqu'il a établi un lien direct entre les Israéliens et les combattants takfiristes, notamment ceux du Front al-Nosra, que certaines parties locales et régionales considèrent comme plus fréquentables que Daech. Le sayyed a même établi une comparaison entre le Front al-Nosra et la milice du général Antoine Lahd qui avait servi de force tampon entre la résistance et les forces israéliennes dans la bande frontalière occupée au Sud-Liban. Cette idée a été confirmée par l'attaque des pèlerins chiites à Damas revendiquée par le Front al-Nosra qui est intervenue deux jours après ce discours de Nasrallah. En même temps, elle permet au Hezbollah de légitimer encore plus aux yeux de ses partisans son intervention militaire en Syrie qui, si l'on suit cette logique, s'inscrit directement dans le cadre de la confrontation avec Israël. Tout comme l'étaient les opérations de résistance contre l'ALS de Lahd dans la bande frontalière jusqu'au retrait israélien en 2000.
Enfin, l'immolation par le feu du pilote jordanien, qui a ému le monde entier par sa sauvagerie, est venue radicaliser encore plus l'opinion publique contre les groupes takfiristes. Mais elle montre aussi la différence entre la réaction du gouvernement libanais à l'enlèvement des otages militaires par ces groupes, et à la liquidation de certains d'entre eux et celle du pouvoir jordanien. Ce dernier a immédiatement réagi en exécutant deux ressortissants irakiens réclamés par les takfiristes et annonce une riposte encore plus dure, alors qu'au Liban, le gouvernement s'est contenté de réclamer l'accélération des procès de certains détenus islamistes et l'allègement des condamnations à mort pour qu'elles deviennent des détentions à perpétuité. La Jordanie a resserré ses rangs autour du pouvoir et de la famille du pilote assassiné, alors que le Liban s'est laissé prendre en otage par les groupes takfiristes qui ont joué sur ses divisions internes et sur l'effroyable angoisse des familles des militaires enlevés pour affaiblir l'Etat et les négociateurs. Mais il n'est pas trop tard pour modifier l'approche libanaise de ce dossier et surtout pour que l'Etat libanais comprenne que le moindre signe de faiblesse profite à ses ennemis.