L'Assemblée s'apprête à reconnaître l'exil forcé de 1600 enfants réunionnais

Quelques-uns des enfants créoles emmenés en métropole 

C'est une histoire qui n'est pas racontée dans les manuels scolaires. Une histoire très peu connue en France – même des élus de l'Assemblée nationale qui, pour certains, viennent seulement de la découvrir C'est l'histoire de quelque 1 600 enfants réunionnais contraints à l'exil vers la France métropolitaine pendant près de vingt ans, de 1963 jusqu'au début des années 1980. Une histoire que l'Assemblée s'apprête à reconnaïtre officiellement, mardi 18 février, via une résolution portée par la députée socialiste de la Réunion, Ericka Bareigts.

 

Cette histoire commence en 1946, quand la Réunion cesse d'être une colonie pour devenir un département français à part entière. « Le territoire est alors extrêmement pauvre, avec 60 % de chômage. L'économie repose essentiellement sur la plantation, les infrastructures sont quasiment inexistantes et l'île connaît un problème démographique très fort », explique Mme Bareigts, qui a présenté son texte à la presse à l'Assemblée, mercredi en début d'après midi.

 

En 1963, le père de la jeune Constitution de la Ve République, Michel Debré, devient alors député de ce département. Craignant que les tensions économiques et sociales du territoire ne se transforment en réelle difficulté politique, il met en place une politique radicale. Elle consiste à « enlever la population là où il y en a trop pour la déplacer là où il n'y en n'a pas assez », à savoir dans 64 départements de l'Hexagone, explique Mme Bareigts.

 

« CONSENTEMENT VICIÉ »

 

Des assistantes sociales sillonnent l'île pour récupérer des enfants, pour certains orphelins, mais pour d'autres vivant dans leur famille. Les parents concernés acceptent mais « ce consentement est vicié », insiste Ericka Bareigts, comme l'a démontré un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales commandé en 2002 par Elisabeth Guigou, alors ministre de l'emploi et de la solidarité. Aux parents, on promet le « grand soir », que les enfants recevront une éducation, auront un métier et pourront revenir pour les vacances.

 

« Mais les enfants ne reviennent pas pendant les vacances et leurs conditions d'accueil sont catastrophiques, très douloureuses. Les établissements ne sont pas formés pour les accueillir », rappelle l'élue, se basant sur des « témoignages relatés par des historiens ». Cependant, pour la députée, c'est plus tard qu'intervient la « faute politique » de la France, quand, dès la fin des années 1960, des préfets alertent les pouvoirs publics sur la situation : « Malgré cela, la machine ne s'est pas arrêtée et a continué d'amener des enfants en nombre sans jamais se préoccuper de leur réussite individuelle, ni de savoir s'il l'on pouvait déplacerainsi des êtres humains sans maintenir aucun lien avec leur famille, leur origine. »Ce n'est qu'avec l'arrivée de François Mitterrand à l'Elysée que ces « exils forcés » cessent.

 

Cinquante ans après les premiers départs d'enfants – pour certains âgés d'à peine six mois –, l'heure est venue, selon Ericka Bareigts, de « reconnaître une responsabilité morale de l'Etat et de faire un travail collectif pour écrire,comprendre et dépasser ces faits » encore mal connus, même à La Réunion.« Cela est nécessaire pour les victimes à titres individuels, et à titre collectif pour l'Hexagone. Il faut accepter l'Histoire dans sa totalité et non pas par bouts. »

 

« ATTACHEMENT À CES SOUFFRANCES »

 

Car le texte n'a pas plus qu'une visée symbolique, ce que l'auteure et la majorité

socialiste reconnaissent volontiers. « Il ne s'agit pas d'une démarche d'instrumentalisation ou de faire de procès à charge », insiste Jean-Jacques Urvoas (PS, Finistère), le président de la commission des lois. Pas de loi mémorielle, donc, mais une résolution, outil législatif crée par la réforme constitutionnelle de 2008, qui permet « avec une force symbolique de marquer un attachement à ces souffrances sans détourner la loi de sa portée initiale », explique M. Urvoas.

 

Le texte ne comporte qu'un article, prévoyant simplement que « l'Assemblée nationale demande à ce que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée ; considère que l'Etat a manqué à sa responsabilité morale envers des pupilles ; demande à ce que tout soit mis en œuvre pour permettreaux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle ».

 

Avec les votes favorables de toute la gauche, et malgré le vote contre de l'UMP, le texte recueillera une majorité suffisante pour être adopté. Les centristes de l'UDIne prendront pas part au vote, estimant qu'il s'agit là d'une « manipulation politique à destination des électeurs réunionnais ». « L'opposition doit prendre sa place pour venir et écrire avec nous cette partie de l'Histoire », leur a répondu Ericka Bareigts. « Cela ne réparera pas ce qu'ils ont vécu, admet-elle, mais c'est un outil pour leur permettre d'aller plus loin. » Au début des années 2000, certains de ces enfants exilés ont tenté des recours auprès de la justice mais celle-ci avait débouté leur demande, estimant que les faits étaient prescrits.

 

Hélène Bekmezian 

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