En France, le mouvement de soutien au peuple palestinien se régénère

Les alliés d’Israël détournent les yeux des décombres et des victimes faites par les frappes israéliennes sur Gaza, tandis que les grands médias "symétrisent" le conflit à outrance. Confronté à ce scénario récurrent, des citoyens français se mobilisent dans un mouvement de solidarité qui se rajeunit, se féminise, et semble prêt à investir la campagne de boycott. État des lieux et revue de presse sélective.

 

 

« Avec la période estivale, les vacances et le ramadan, on s’attendait à quelques centaines de personnes. On a été surpris et, honnêtement, émus par l’affluence...  » Membre du Réseau Palestine Marseille à l’origine d’un rassemblement de soutien au peuple palestinien, Régine Fiorani n’avait pas envisagé une telle mobilisation samedi 12 juillet. Environ 4.000 personnes, sûrement plus, se sont déplacées entre Vieux-port, Canebière et Préfecture. Ils étaient 6.000 à Lyon, plusieurs milliers également à Lille, à Montpellier, à Metz. Du monde aussi à Bordeaux, à Toulouse. Et plus de 15.000 à Paris, dimanche 13.

Triple sentiment d’injustice

À une période de l’année où les manifestations politiques sont rares, a fortiori sur des enjeux de solidarité internationale, cette mobilisation est importante et significative. Et elle va peut-être perdurer dans les jours à venir. D’autres rassemblements ont eu lieu lundi et des appels ont été lancé pour ce mercredi 16 juillet. À Paris notamment, rendez-vous est donné par les organisations rassemblés au sein du Collectif national pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens [1]. Sur les réseaux sociaux, depuis ce week-end, ont peut aussi voir des vidéos et des photos de manifestation au Québec, en Grande Bretagne, à Hong Kong, en Italie [2]... Témoignant du fait que la question de Palestine demeure cet enjeu majeur à l’échelle planétaire dont les implications politiques vont bien au-delà du simple règlement du "conflit israélo-palestinien".

« La Palestine est, depuis un demi-siècle, à la fois la tranchée avancée de la guerre globale entre le désordre impérialiste et les peuples et le symbole de la résistance à l’injustice structurelle que les grands de ce monde veulent nous imposer par la force. Il n’est pas exagéré de dire que le peuple palestinien tient sur ses faibles épaules l’avenir de l’humanité, entre barbarie et libération. », a récemment rappelé le journaliste et militant israélien Michael Warschawski [3].

En France, les associations qui traditionnellement organisent et relaient le soutien à ce peuple notent une évolution dans les rangs des cortèges : plus jeune, plus féminin. Cela s’est clairement vu à Marseille. « Vraiment beaucoup de jeunes filles étaient présentes, raconte Régine Fiorani. Venues des quartiers mais aussi du centre-ville. Certaines sont venues discuter de l’organisation d’une freez-mob, d’autres envisagent de nouveaux outils de mobilisation... Aux visages que l’on est habitué à voir à chaque rendez-vous sur la Palestine, se sont ajoutés ceux de ces jeunes femmes. » Un constat identique a été fait à Lille par La Voix du Nord [4].

Avec en partage pour tou-te-s ces manifestant-e-s, un triple sentiment d’injustice : « face à l’état de la situation sur place ; aux mensonges des médias ici ; et au soutien des puissances dont bénéficie le gouvernement israélien », résume Régine Fiorani.

« Etat de la situation sur place »

Le 8 juillet dernier, l’opération "Bordure protectrice" a remplacé "Gardien de nos frères" déclenchée à la suite de la disparition de trois jeunes israéliens finalement retrouvés assassinés le 30 juin. Un adolescent palestinien de seize ans a été enlevé et tué à Jérusalem deux jours plus tard. Mais c’est désormais sur la bande de Gaza où vivent plus de 1.700.000 Palestiniens sur un territoire de 10 km de large par 41 km de long, sous blocus depuis 2006, que s’exercent la pression militaire et l’attention médiatique. Au huitième jour de l’offensive, on y dénombrait plus de 190 morts (dont au moins 75 % de civils, et 35 enfants) ; près de 1.400 blessés ; 17.000 personnes contraintes de se réfugier dans des écoles de l’Unrwa (agence des Nations Unies dédiée aux réfugié palestiniens) ; et environ 400.000 personnes privées d’électricité uniquement à Gaza city. Le bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) tient une mise à jour quotidienne détaillée de l’évolution de la situation.

Ce mardi 15, huit jours après le déclenchement de l’opération "Bordure protectrice", les Israéliens comptaient un seul tué et quelques blessés – un déséquilibre conforme à la réalité régionale et sur lequel la RTBF apporte un éclairage limpide [5]. Aucun "cessez-le-feu" entre les deux parties n’a été signé et les habitants de Sderot, ville israélienne régulièrement atteinte par des roquettes (quasi toujours inoffensives) tirées depuis le territoire palestinien, devraient donc pouvoir continuer à regarder les bombardements sur Gaza « comme au cinéma », ainsi qu’a pu le constater sur place le journaliste danois Allan Sorensen [6].

Par ailleurs, les opérations militaires se poursuivent en Cisjordanie. Lundi 14 juillet, Munir Ahmad Badarin, vingt-deux ans, était tué par les soldats israéliens au sud d’Hébron, et sept jeunes Palestiniens étaient blessés à Ramallah. Les arrestations ont été nombreuses sur l’ensemble du territoire, visant tout particulièrement les responsables du Hamas.

« Mensonges des médias »

Comme toujours, la couverture médiatique n’échappe pas aux dérives de "symétrisation" du conflit. Malgré le déséquilibre patent du rapport de force et la comptabilité éloquente des victimes, les titres évoquant les « échanges de tirs » mutuels, les encadrés documentant avec force détails l’armement du Hamas ou les reportages décrivant les traumatismes subis par les populations israéliennes protégées par le dôme de fer [7] demeurent légions.

Cette orientation médiatique est en partie due aux efforts de communication de l’armée israélienne qui utilise massivement les réseaux sociaux (notamment Twitter) pour livrer sa version de l’offensive en cours, resservant toujours les mêmes arguments : l’armée israélienne fait preuve de retenue, le Hamas utilise les populations civiles comme bouclier humain, etc. La journaliste israélienne de Haaretz Amira Hass a produit un remarquable article démontant point par point tout cet argumentaire [8].

À cela s’ajoute depuis ce week-end, en France, un traitement pour le moins partial des manifestations de soutien à la Palestine. Ces dernières, on l’a vu, se caractérisent par une mobilisation populaire spontanée, en partie rajeunie et féminisée, et les témoignages remontant de toutes les villes font état de manifestations pacifiques. Mais depuis lundi, les incidents survenus à l’issue de la manif parisienne dans le quartier de la Bastille, à proximité d’une synagogue, sont très commentés. Sous entendu implicite : le mouvement de soutien à la Palestine demeure un haut lieu de l’antisémitisme. Michèle Sibony, de l’Union juive française pour la paix (UJFP), qui a participé à la manifestation parisienne, en livre pourtant un récit bien différent [9]...

À Marseille, témoigne Régine Fiorani, « aucun dérapage antisémite ou quoi que ce soit de ce type » n’a été observé dans le cortège. Quant aux échanges violents qui ont bien eu lieu du côté de la synagogue de la Roquette à Paris, de nombreuses vidéos et témoignages convergent pour indiquer que la Ligue de défense juive (LDJ) – organisation raciste et fascisante interdite en Israël et aux États-Unis, mais pas en France où elle bénéficie d’une très surprenante mansuétude du pouvoir -, y a des responsabilités majeures.

Pourtant, quand le Premier ministre Manuel Valls fait savoir qu’il ne permettra pas que « le conflit israélo-palestinien s’importe en France », tout indique que ce sont les "pro-palestiniens" qu’il soupçonne de vouloir procéder à une telle "importation". Car personne ne se souvient l’avoir entendu lancer de tels avertissements lorsque, fin mai, l’ambassade d’Israël en France a fait savoir qu’un représentant de "Tsahal" viendrait donner « une conférence sur la politique de recrutement » de l’armée israélienne dans... une synagogue parisienne Lire [10].

« Soutien des puissances »

Ce traitement différencié passe toujours aussi mal. Il s’est aggravé cette fois de la remarquable sortie de François Hollande, qui a apporté le 9 juillet son soutien à Benyamin Netanyahou, soulignant notamment qu’il « appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces ». Une position qui, beaucoup l’ont promis lors des manifestations ce week-end, devrait coûter des voix à l’actuel président français en 2017 – si toutefois il est candidat à sa propre ré-élection. Surtout, ajoutée à la discrétion de Washington et de l’ensemble des capitales occidentales qui n’oublient jamais de condamner le Hamas pour les tirs de roquettes, elle démontre une fois encore qu’Israël peut compter quoi qu’il fasse sur le soutien de ses alliés traditionnels. Même quand il se permet d’infliger une punition collective à tout un peuple, tuant et blessant, entre autres victimes civiles, des jeunes enfants, des femmes enceintes et des handicapés, l’impunité de Tel-Aviv perdure et résiste à toute les tempêtes.

Les plus jeunes des citoyens français qui se mobilisent actuellement dans les rues n’ont jamais connu une autre configuration que celle-ci. Samedi, à Marseille comme ailleurs, les banderoles de la campagne BDS (boycott désinvestissement sanction) qui prend de l’ampleur, qui ne cesse d’inquiéter les dirigeants israéliens, figuraient en bonne place dans le cortège. Comme si cette génération de militants que l’on est peut-être en train de voir émerger avait fait sienne l’idée que BDS est, aujourd’hui, à la fois l’unique et le plus pertinent outil pour faire entendre la voix des peuples.

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