Nuits d'Athènes

Certains moments graves peuvent être parfois autant gracieux. Le soleil radieux d’Athènes... salue de la sorte la dernière décision de la BCE, non sans sourire. Puis, soirée très douce sur la place de la Constitution où le peuple a déjà manifesté son soutien au gouvernement grec au soir du 5 février.

Ce fut un premier rassemblement quasi spontané très suivi pour dire “NON à l'ultimatum”. Un rassemblement sans pancartes des partis, grave et digne à la fois, en prélude au grand rassemblement prévu pour le 11 février, moment de l’Eurogroupe. Parmi les pancartes de ce jeudi en tout cas, on pouvait par exemple lire: “Schäuble - Merkel, vous donnez des ordres, vous menacez, vous volez et vous tuez. C'est bien connu depuis 1941-1945. Nous n'avons pas peur de vous”. Simple... et fort explicite.

Maria et son mari rencontrés dans un café de l’autre bout d’Athènes dans l’Ouest de l’agglomération, ne pouvaient plus contenir leurs larmes découvrant ces images à la télévision. “C'est terminé, et c'est alors acquis dans notre esprit. Nous résisterons si besoin jusqu'à la mort. Notre dignité est retrouvée, et ce n'est pas de la vengeance qu’il s’agit... mais tout simplement de cette justice enfin rendue... à nos morts de la crise comme à nos enfants qui ont quitté le pays par milliers pour émigrer”. 

 

Sauf que contrairement à ce que pensent de nombreux Grecs, l’esprit allemand ne se résume pas aux vues d’Angela Merkel ou de son camp politique. En Allemagne aussi, ceux du parti Die Linke, ont manifesté en soutien à la Grèce et pour une autre Europe. Histoire alors très présente et superbement incertaine.

Ces derniers jours, l’arbre où le pharmacien Dimitri Christoúlas est suicidé en avril 2012 a été fleuri. Le retentissement de ce suicide (il s’est tiré une balle dans la tête) fut énorme. Je m’y trouvais... Dimitri, pharmacien à la retraite avait laissé aussi un message désignant “les gouvernants traitres et vendus aux Allemands comme responsables et il appelait à la résistance”. Finalement et pour faire court, je dirais que le financierisme des élites et le fonctionnement germanique de l’UE auront tout fait pour réveiller partout en Europe les sentiments nationaux. Donc l’avenir serait... encore en route. 

 

En tout cas, ce Jeudi 5 février, nous avons pour une fois fêté l’ouverture de la nouvelle séance parlementaire, ici on dit “le serment du nouveau Parlement”... enfin grec, depuis ce... Grand soir des urnes et du 25 janvier. Côté revers... de l’autre mur de Berlin (et de Francfort), la BCE vient d’annoncer qu’elle n’acceptera plus les obligations d’État grecques en collatéral pour des prêts des banques grecques. Joli monde !

Le premier ultimatum européiste vient donc de tomber, nous y ferons face. L’Union européenne Merkelochrome (la seule réellement existante en ce moment) a dépassé les limites de l’hybris antidémocrate et elle finira par en subir les conséquences, symboliques mais surtout politiques. Autant que nous, sauf que c’est déjà fait. 

 

La Grèce depuis son nouveau gouvernement, remet un peu de sa (géo) politique et de son anti-austérité dans l’agora du triste monde, là où les marionnettes européistes ont toujours fait semblant de... Donc tout serait à reconstruire ou à défaire... (et) alors c’est aussi la guerre faite par d’autres moyens. Quelquefois cependant, les compromis ne sont pas à exclure de part et d’autre.

Jeudi 5 février toujours, Yannis Dragasákis, vice-président du gouvernement grec, a rencontré à Athènes le vice-ministre Américain de l’Économie, ainsi que d’autres responsables venus des États-Unis, et vendredi 6 février c’est Yanis Varoufákis qui rencontrera les membres de cette même délégation. Tout va si vite. 

 

Depuis l’autre versant... de la géopolitique du monde très actuel, Vladimir Poutine vient d’inviter Alexis Tsípras à Moscou pour le défilé du 9 mai, événement célébrant comme on sait, la victoire contre le nazisme. Invitation aussitôt acceptée selon la presse grecque. En attendant, les ministres, de la Défense et des Affaires étrangères de la Grèce prendront le chemin de Moscou très prochainement.

La situation devient enfin bien grave, et néanmoins ouverte aux vents. L’Allemagne est de ce fait au pied de son nouveau mur et cela nous le savons. “Nous n'avons plus rien à perdre, nous comptons déjà nos morts par milliers, la mascarade doit cesser et l'Euro avec”, me dit Vassílis, un journaliste... centriste, rencontré jeudi matin au centre-ville. L’ambiance qui règne en ces moments est éthérée, ou plutôt suspendue. Je photographie nos anciennes coupures de mille drachmes... et du tonnerre de Zeus chez les antiquaires d’Athènes, lorsque spontanément tous les passants qui s’expriment, le font en faveur d’un retour à notre monnaie si plus rien n’est possible et si un compromis acceptable n’est pas trouvé. L’échantillon n’est certainement pas représentatif, cependant la... qualité et la mutation y figurent. 

 

Pour Vassílis, le déclencheur profond du vote SYRIZA tient de cette atteinte à la dignité, humaine d’abord, nationale ensuite. Il estime que les effets catalyseurs pour la société sont extraordinairement rapides et que SYRIZA et ANEL, bénéficient désormais du soutien d’une large part de la population.

Notre brève historicité est immanquablement inédite. Au-delà des affaires hautement étrangères et des rencontres au sommet, les baronnies intérieures du népotisme et de la corruption Samaro-pasokienne ne se laissent pas facilement prendre à leur propre piège. C’est en plus la première fois qu’un grand parti arrive (même avec un allié) au pouvoir gouvernemental, sans le soutien de la presse, de la télévision, des medias plus généralement, radiotélévision publique comprise.

Ces medias déjà, reprennent à leur compte le flambeau de la mécanique sociale de la peur, et cela, parce que certains magnats et autres oligarques d’Athènes et des environs, savent que leur impunité se terminerait et/ou, ils devront passer à la caisse. Tel semble être d’ailleurs le seul point concordant, entre les positions des nos... Tsipriotes et les mécanos mondiaux, européistes ou cosmocrates. Mettre fin à l’évasion fiscale, surtout et d’abord chez les grands pour commencer. 

 

Pourtant, l’espoir fou de Samaras et des siens quant à leur retour, après une “parenthèse SYRIZA-ANEL” fait partie du paysage politique. Tel est certainement le plan de Berlin et de Bruxelles: défaire au plus vite le gouvernement grec SYRIZA-ANEL, soit par l’humiliation, soit par la chute, ce qui revient au même.

Angela Merkel a certes perdu la bataille des symboles et des représentations en moins d’une semaine, elle utilise alors l’euro et “ses” règles, à la manière d’une arme de destruction massive. Telle a été à mon avis sa plus grande fonction... monétaire dès le départ, sauf que les différents artefacts, tout comme la démission (dans leur majorité) des intellectuels, des “penseurs” et des journalistes propagandistes des richesses de leurs patrons empêchent de voir ce bombardement.

Et à contre-courant, jusqu’à hier matin, la rare presse alternative... c’est à dire gouvernementale depuis le 25 janvier, représente à sa manière les chefs des partis de la Troïka, à savoir, Samaras à la Nouvelle démocratie, Venizélos au PASOK et S. Theodorákis au parti dit “de la Rivière”. Ce dernier a d’ailleurs forcé un des responsables de son parti à la démission, ce grand nostalgique... de la Troïka avait publiquement souhaité au chef de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem... de tenir bien face à Yanis Varoufákis. Vichyssitudes... à la grecque. 

 

Il y subsiste pourtant un certain aveuglement grec à ne pas sous-estimer non plus. De manière intelligente (et d’après ce que je sais par des amis appartenant aux... Indiens SYRIZA), et avec sincérité, l’essentiel quant au positionnement du parti d’Alexis Tsípras tient à cet “autre européisme... de gauche”, possible, et subséquemment constructible. Ce faisant, et en prenant au mot les déclarations et les institutions de l’UE, cette Grèce... Tsipriote, entend bien dialoguer dans le cadre d’une supposée (et) certaine, égalité formelle, entre “partenaires au sein de l'UE”, ce qui de fait semble impossible. Comme dirait Thucydide, ou notre regretté Cornelius Castoriadis... c’est plutôt une affaire de la Force et (parfois) du Droit. Ou sinon, à moins de faire dans la tactique la plus profonde qu’elle soit.

D’où l’activation des leviers géopolitiques possibles ou impossibles, de la Chine et jusqu’aux États-Unis, en passant par la Russie. Joli jeu de poker, aux conséquences imprévisibles. C’est par la même occasion qu’Alexis Tsípras et ses ministres, ont ainsi “découvert” le presque vide des positions françaises du moment, ces dernières se sont avérées assez inexistantes vis à vis de la Grèce, c’est à dire, vis à vis de l’Allemagne. Pour l’instant ?

C’est une vue des dirigeants français à court terme, le consensus finira par exploser au sein de l’UE, et la “crise grecque” n’est qu’un catalyseur de plus. Car au-delà de “l'effet Charlie” si bien orchestré par les medias et par leur mécanique sociale eurocrate à la manière une expérience “méta-démique” grandeur nature (d’ailleurs contraire à l’authentique esprit des journalistes et dessinateurs assassinés), l’Europe n’existe pas (et non plus peut-être autrement). Ainsi, les peuples finiront par trancher la question, ou sinon, leurs jours (du point de vue de la souveraineté et de la démocratie) leurs seront comptés. 

 

La méta-démocratie est en bien sur les rails, le XXe siècle a déjà brûlé tous ses vieux meubles et cependant, le XXIe finirait par brûler le reste des hommes.

Notre si belle gravité n’est pas entièrement comprise des peuples, des Grecs y compris. Tout le monde me dit autour de moi que son vote contre l’austérité et pour la dignité est irréversible, et que restaurer un peu les salaires, introduire un minimum de justice sociale et fiscale, éviter nos prochains morts dans les hôpitaux et en dehors d’eux, reste notre seule voix désormais. C’est alors exactement cet irréversible, qu’exige la BCE de Francfort par son ultimatum de cette semaine, à l’unisson avec les politiques qui dirigent à Berlin. Tout le monde comprendra alors que l’Union européenne... c’est la guerre plutôt que la paix.

Cependant, nous ignorons l’ampleur des cristallisations et ainsi des résistances en germe. La rue athénienne apprend à agir, à se bouger, mais aussi si besoin, à vivre autrement. Et cela dans l’urgence. Comme le répétait souvent Cornelius Castoriadis, il faut, soit se reposer dans son fauteuil, soit être libre. Tel reste l’énigme à résoudre assez rapidement. À moins de trouver un compromis, entre les positions de la métropole de Berlin et celles des... Indiens Tsipriotes.

L’historien du futur remarquera sans doute et non sans un certain le sourire, qu’en 2015, le cas grec avait interpelé toute une partie du monde, et par la même occasion d’une manière dramatiquement innovante... les études postcoloniales, en même temps que la provincialisation définitive de l’Europe. Nouveau monde ? 

 

Source: greek crisis

 

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