L'oiseau bariolé déplumé ou à propos de "l'antisémitisme" polonais.

Son premier roman lui a valu une gloire mondiale, en 1966. L’oiseau bariolé passe pour le témoignage d’un survivant de la Shoah et Jerzy Kosinski (1933-1991) mène une vie de rock-star dans la jet-set new-yorkaise. Avant que tout bascule.

Le 22 juin 1982, l’hebdomadaire new-yorkais The Village Voice publie un article intitulé Les mots souillés de Jerzy Kosinski. L’auteur américano-polonais ne s’en relèvera pas. Star des lettres et des médias, il faisait encore partie, deux mois plus tôt, des présentateurs de la cérémonie des oscars. Tout le monde connaît son visage anguleux, pour l’avoir vu dans d’innombrables shows télévisés ou en une du New York Times Magazine, photographié par Annie Leibovitz. Cette même année 1982, il frôle le prix Nobel de littérature, décerné à Gabriel Garcia Marquez.

L’article du Village Voice abat en plein vol ce drôle d’oiseau. Il marque l’aboutissement de rumeurs et de doutes qui ont grandi depuis la parution retentissante de L’oiseau bariolé, à l’automne 1965. Succès immédiat, international dès l’année suivante: jusqu’à son suicide en 1991, le livre de Jerzy Kosinski se serait vendu à 70 millions d’exemplaires dans le monde…

D’emblée reconnu comme un classique de la littérature de l’Holocauste, cet effroyable roman suit la trajectoire d’un enfant envoyé à la campagne par ses parents, pour le soustraire à la guerre. Le lieu n’est pas nommé, mais tout le monde reconnaît la Pologne, pays natal de Kosinski. Errant de village en village, il se retrouve malmené par tous les paysans.

Adoubé par Elie Wiesel
Ecrit à la première personne, L’oiseau bariolé aligne tortures et abjections diverses, double énucléation et zoophilie comprises. Un malentendu fondamental naît dès sa sortie: le livre est considéré comme autobiographique. Elie Wiesel parle de témoignage et le couvre d’éloges.

Et du coup, tous les critiques ont suivi, tu es devenu Beckett, Genet, Kafka et Dostoeïvski en une seule et même personne», a-t-on même pu lire.

Cocktails et boîtes SM
Jerzy Kosinski a 32 ans et vit aux Etats-Unis depuis huit ans. Juif né en Pologne en 1933, il a obtenu une bourse pour étudier à l’Université Columbia et publié deux livres anticommunistes sous le pseudonyme de Joseph Novak. Ils attirent l’attention d’une veuve fortunée, Mary Weir, de dix-huit ans son aînée. Neuvième femme la plus riche des Etats-Unis, elle l’engage pour classer sa bibliothèque. Ils se marient en janvier 1962 et divorceront quatre ans plus tard.

Kosinski est lancé. Séducteur, il mène la grande vie, se fait un nom dans la haute société new-yorkaise comme dans les milieux interlopes. Il fréquente aussi bien les cocktails mondains que les boîtes échangistes, de préférence SM. Une vie de rock-star, lignes de coke et prostituées de luxe.

Nègres, plagiat, mensonges…
Arrivent ce mois de juin 1982 et les révélations du Village Voice: Jerzy Kosinski n’aurait pas écrit ses livres, parce qu’il ne maîtrisait pas suffisamment l’anglais. Alors qu’il affirme rédiger directement en anglais, ses textes auraient été traduits du polonais. Les traducteurs auraient même joué le rôle de «nègres», Kosinski racontant des bouts d’histoires qu’ils mettaient en forme. De son côté, le poète George Reavey affirme à qui veut l’entendre qu’il est le véritable auteur du roman.

Les deux journalistes révèlent également que Kosinski n’a pas vécu les atrocités décrites dans L’oiseau bariolé. Avec ses parents juifs, un professeur de littérature et une pianiste, il a passé la guerre au sein d’une famille de paysans qui les ont sauvés au péril de leur vie et très bien traités. Au village, le petit Kosinski (qui s’appelle en réalité Jozef Lewinkopf) passe pour catholique. L’article évoque encore des liens avec la CIA et souligne que La présence ressemble fortement à un roman polonais de Tadeusz Dolega-Mostowicz, paru en 1932.

Guerre froide et paranoïa
Voici Kosinski le menteur et plagiaire démasqué. Il se défend mal, évoque un coup des communistes. Dans cette étrange époque de la guerre froide, le New York Times vient à son secours, le 7 novembre 1982, en relevant de supposées incohérences dans le papier du Village Voice et une manipulation des services secrets polonais. L’article est signé John Corry, membre de la rédaction en chef… et ami de Kosinski. La journaliste chargée d’enquêter aurait refusé de défendre l’écrivain après ses premières recherches.

Le flamboyant Kosinski est à terre. Dans les années qui suivent, il peine à écrire et publie en 1988 L’ermite de la 69e rue, dédaigné par la critique. Le 3 mai 1991, malade, persuadé qu’il perd la vue, il avale des barbituriques et de l’alcool, se noue un sac plastique sur la tête et entre dans sa baignoire. Il a laissé un mot à sa seconde épouse: «Je vais maintenent aller dormir un peu plus longtemps que d’habitude. Appelons ça l’éternité.»

 

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