L'échec d'Israël

 


 L'échec d'Israël

Par Robert Fisk

publié dans The Independent, le 15 août 2006,
article original : 'Desert of trapped corpses testifies to Israel's failure'

Ils en ont fait un désert et ils appellent cela la paix. Srifa - ou ce qui fut autrefois le village de Srifa - est un lieu de gravats, de chats affamés, de cadavres pris au piège dans les maisons qui ont été ratatinées comme des crêpes. Mais c'est aussi un lieu de victoire pour le Hezbollah, dont les combattants marchaient hier dans les décombres en ayant l'air de héros conquérants. Alors, qui doit-on condamner pour ce désert ? La résistance chiite ou l'aviation et l'infanterie israéliennes qui ont ravagé le sud-Liban et tué un si grand nombre de ses habitants ?

Il n'y avait aucun doute de ce que le moukhtar [le chef de village] pensait. Tandis que trois hommes du Hezbollah - l'un blessé au bras, les autres transportant deux chargeurs de munitions et un émetteur-récepteur - nous croisaient au milieu des piles de béton fracassé, Hussein Kamel el-Din leur cria : " Salut, les héros ! ".

Il faut être ici avec le Hezbollah au milieu de cette destruction effrayante - loin au sud du fleuve Litani, dans ce territoire d'où Israël avait juré, de les chasser - pour réaliser la nature de ce mois de guerre et de son énorme signification politique pour le Proche-Orient. La puissante armée d'Israël a déjà battu en retraite du village voisin de Ghandoutiya après avoir perdu 40 hommes en seulement 36 heures de combats. Elle n'a même pas réussi à entrer dans la ville dévastée de Khiam où le Hezbollah faisait la fête hier après-midi. À Srifa, je me tiens là, debout avec des hommes du Hezbollah, à regarder les routes vides vers le sud et je pouvais voir jusqu'en Israël et la colonie de Mizgav Am, de l'autre côté de la frontière. Ce n'est pas de cette façon que la guerre était censée se terminer pour Israël.

Loin d'avoir humilié l'Iran et la Syrie - ce qui était le plan israélo-américain - ces deux Etats supposés être des parias ont été laissés intacts et la réputation du Hezbollah est adulée dans tout le monde arabe. "L'occasion" que le Président George Bush et sa Secrétaire d'Etat, Condoleeza Rice, ont cru voir dans la guerre du Liban s'est avérée être une occasion pour les ennemis de l'Amérique de montrer la faiblesse de l'armée d'Israël. Vraiment, la nuit dernière, on ne voyait pratiquement aucun blindé israélien à l'intérieur du Liban - on a juste pu apercevoir un char solitaire à l'extérieur de Bint Jbeil - et les Israéliens se sont même retirés de la ville chrétienne "sûre" de Marjayoun. Il est désormais clair que l'armée israélienne, forte de 30.000 hommes, et qui avait été signalée en train de foncer vers le fleuve Litani, n'a jamais existé. En fait, il est peu probable qu'il restait hier plus de 1.000 soldats israéliens au sud-Liban, même s'ils ont été impliqués dans deux échanges de tirs, pendant la matinée, quelques heures après que le cessez-le-feu onusien a pris effet.

Pendant ce temps, est arrivé un exode massif de dizaines de milliers de familles chiites, descendant la côte depuis Beyrouth, avec leur literie empilée sur le toit de leurs voitures. Beaucoup arboraient des drapeaux du Hezbollah avec des photos de Sayed Hassan Nasrallah, le président du Hezbollah, sur leurs pare-brise. Aux embouteillages massifs autour des ponts d'autoroutes démolis et des cratères qui constellent le paysage, le Hezbollah distribuait même des drapeaux jaune et vert de "victoire" avec des écriteaux officiels conseillant vivement aux parents de ne pas laisser les enfants jouer avec les milliers de bombes qui n'ont pas explosé et qui jonchent à présent le paysage.

Mais vers quoi les gens retournent-ils ? Haj Ali Dakroub, un chef de chantier de 42 ans, avait perdu une partie de sa maison dans le bombardement israélien de Srifa en 1996. À présent sa maison a été totalement ratatinée. "Qu'y a-t-il ici pour qu'Israël ait tout détruit ?" demande-t-il. "Nous ne nions pas que la résistance se trouvait à Srifa. Elle y était hier et elle y sera demain. Mais, dans cette maison ne vivait que ma famille. Alors pourquoi Israël l'a-t-il bombardée ?" Eh bien ! Il se trouve que j'ai remarqué ce qui semble être l'enveloppe extérieure d'un missile pendant du balcon d'une maison très endommagée en face des décombres de la maison d'Ali Dakroub. Et un groupe de miliciens du Hezbollah, dont l'un d'eux porte un pistolet à la ceinture, nous a croisés en marchant nonchalamment et a disparu dans un verger ? Etait-ce là, peut-être, qu'ils gardaient quelques-unes de leurs roquettes ?

M. Dakroub n'a rien dit. "Je vais reconstruire ma maison avec mes deux fils", a-t-il insisté. "Il se peut qu'Israël revienne dans dix ans et détruise tout à nouveau et ensuite je reconstruirais tout une nouvelle fois. C'était une victoire du Hezbollah. Les Israéliens ont été capables de vaincre tous les pays arabes en six jours en 1967, mais ils n'ont pas réussi, en un mois, à vaincre la résistance. Les hommes de la résistance sortaient du sol et ripostaient. Ils y sont toujours".

"Sors du sol !" est une expression que j'ai entendu plusieurs fois ces quatre dernières semaines et je commence à soupçonner qu'un grand nombre des milliers de guérilleros se cachaient vraiment dans des grottes, des sous-sols et des tunnels, juste pour en sortir et tirer leurs missiles ou utiliser leurs roquettes à infra-rouge contre l'armée israélienne, après qu'elle a commis l'erreur d'envoyer des troupes au sol au Liban. Et y a-t-il quelqu'un pour croire que le Hezbollah se laissera désarmer par une force onusienne internationale et par les troupes libanaises une fois qu'elles seront là - et si elles arrivent ? Il y a eu un moment symbolique hier lorsque les soldats libanais, déjà basés au sud-Liban, se joignirent aux hommes du Hezbollah à Srifa pour dégager les gravats d'une maison dans laquelle on pensait que les corps de toute une famille étaient ensevelis. La Croix-Rouge libanaise et le personnel de la sécurité civile - les représentants du pouvoir civil qui est supposé récupérer sa souveraineté sur le Hezbollah - se sont joints aux fouilles. Le moukhtar, qui regardaient ouvertement le Hezbollah comme des héros, est aussi un représentant du gouvernement. Et à l'entrée de ce village dévasté se trouve toujours une affiche de Nasrallah et du président iranien Ali Khamenei.

Loin de repousser le Hezbollah au nord, de l'autre côté du fleuve Litani, Israël les a retranchés dans leurs villages libanais comme jamais auparavant.

© 2006 Independent News and Media Limited / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]
 

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