28 Janvier 2015
R. « Je suis un être humain, je suis un juif et je suis un Israélien. Le sionisme a été un
instrument pour me transporter de l’Etat juif à l’Etat d’Israël (to move me from the
Jewish state of being to the Israeli state of being). C’est Ben Gourion qui déclarait que
le mouvement sioniste était l’échafaudage pour construire une maison et que, après
l’établissement de l’Etat, il devait disparaître. »
Q. Donc vous confirmez que vous n’êtes plus sioniste ?
R. « Lors du premier congrès sioniste, c’est le sionisme de Herzl qui a vaincu le
sionisme d’Ahad Ha’am. Je pense que le XXIe siècle devrait être le siècle d’Ahad
Ha’am. Nous devons abandonner Herzl et passer à Ahad Ha’am. »
Q. Cela signifie-t-il que vous ne trouvez plus la notion d’Etat juif acceptable ?
R. « Cela ne peut plus fonctionner. Définir l’Etat d’Israël comme un Etat juif est le
début de la fin. Un Etat juif, c’est explosif, c’est de la dynamite. »
Q. Et un Etat juif démocratique ?
R. « Les gens trouvent cette notion confortable. Elle est belle. Elle est à l’eau de rose.
Elle est nostalgique. Elle est rétro. Elle donne un sens de plénitude. Mais
"démocratique-juif", c’est de la nitroglycérine. »
(...) Q. Est-ce que nous devons abandonner la Loi du retour ?
R. « Nous devons ouvrir la discussion. La Loi du retour est une loi, elle est une image en miroir de Hitler. Je ne veux pas que Hitler définisse mon identité. »
Interrogé sur le fait qu’il n’est pas seulement un post-sioniste mais aussi un
anti-sioniste, il répond :
R. « Ahad Ha’am a reproché à Herzl que tout son sionisme avait sa source dans
l’antisémitisme. Il pensait à autre chose, à Israël comme centre spirituel – ce point de
vue n’est pas mort et il est temps qu’il revienne. Notre sionisme de confrontation avec
le monde est un désastre. »
Q. Mais ce n’est pas seulement la question sioniste. Votre livre est anti-
israélien, au sens le plus profond du terme. C’est un livre dont émane une
répugnance à l’égard de l’israélité.
R. Quand j’étais un enfant, j’étais un juif. Dans le langage qui prévaut ici, un enfant
juif. J’allais dans un heder [école religieuse]. D’anciens étudiants de la yeshiva y
enseignaient. La langue, les signes, les odeurs, les goût, les places. Tout.
Aujourd’hui, ce n’est pas assez pour moi. Je suis au-delà de l’israélité. Des trois
identités qui me constituent – humaine, juive, israélienne – je sens que l’élément
israélien me dépossède des deux autres.
(...) Q. Vous dites qu’Israël est un ghetto sioniste, impérialiste, une place brutale
qui ne croit qu’en elle-même.
R. « Regardez la guerre du Liban. Les gens sont revenus du champ de bataille. Des
choses ont été accomplies, d’autres ont échoué, il y a eu des révélations. Vous
pourriez penser que les gens du centre (mainstream) et même de la droite
comprendraient que l’armée voulait gagner et qu’elle n’a pas gagné. Que la force
n’est pas la solution. Et puis on a Gaza, et quel est le discours sur Gaza ? Nous
allons les écraser, nous allons les éradiquer. Rien n’a changé. Rien. Et ce n’est pas
seulement nation contre nation. Regardez les relations entre les gens. Ecoutez les
conversations personnelles. Le niveau de violences sur les routes, les déclarations
des femmes battues. Regardez l’image d’Israël que renvoie le miroir. »
Q. Vous dites que le problème n’est pas seulement l’occupation. A vos yeux, Israël est une sorte d’horrible mutant.
R. « L’occupation n’est qu’une petite partie du problème. Israël est une société
effrayante. Pour regarder la source de cette obsession de la force et pour l’éradiquer,
vous devez affronter les peurs. Et la méta-peur, la peur primaire, ce sont les six
millions de juifs qui sont morts avec l’holocauste. »
(...)
Q. Dans votre livre, nous ne sommes pas seulement des victimes du nazisme. Nous sommes presque des judéo-nazis. Vous êtes prudents. Vous ne dites pas qu’Israël est l’Allemagne nazie, mais vous n’en êtes pas loin. Vous dites qu’Israël est dans le stade de l’Allemagne pré-nazie.
R. « Oui. J’ai commencé mon livre par l’endroit le plus triste. Comme un deuil, mais
un deuil d’Israël. Alors que j’écrivais, je pensais à un titre : "Hitler a gagné". Je
pensais que tout était perdu. Mais, petit à petit, j’ai découvert que tout n’était pas
perdu. Et j’ai découvert mon père comme représentant des juifs allemands, qui était
en avance sur son temps. Ces deux thèmes nourrissent mon livre du début à la fin. A
la fin, je deviens optimiste et la fin de mon livre est optimiste. »
Q. La fin est peut-être optimiste, mais tout au long du livre vous dressez un signe d’égalité entre Israël et l’Allemagne. Est-ce vraiment justifié ? Y-a-t-il une base suffisante pour cette analogie ?
R. « Ce n’est pas une science exacte, mais je vais vous donner quelques éléments
qui s’inscrivent dans cette analogie : une grande sensibilité à l’insulte nationale ; un
sentiment que le monde nous rejette ; une incompréhension aux pertes dans les
guerres (unexplained losses in wars). Et, comme résultat, la centralité du militarisme
dans notre identité. La place des officiers de réserve dans notre société. Le nombre
d’Israéliens armés dans la rue. Où est-ce que cette foule de gens armés va ? Les
expressions hurlées dans la rue : "les Arabes dehors".
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